dimanche

Dimanche



Tous les dimanches du monde étaient concentrés en une seule journée, il y a 25 ans. Il y a un quart de siècle, donc, toutes les dimenchions de l’existence fusionnaient en une expérience unique. Il y avait un peu de mal-être des excès du samedi soir, de l’inconfort des habits neufs qu’il ne fallait pas abîmer, quelques angoisses du lendemain et de la nouvelle semaine à venir, l’ennui d’instants copieux passés à table en compagnie de la bonne chair familiale.

Dehors, tantôt il pleuvait, tantôt il faisait beau. Une lointaine cloche résonnait à travers les années, brisant l’illusion d’un temps parfaitement arrêté.

L’impression était d’une grande paresse, de fainéantises monstrueuses, et pourtant il a bien fallu promener le chien en forêt, laver la voiture, rendre visite à la tante, faire un tour de musée, cirer les chaussures de travail, et que sais-je encore.

Il est vrai qu’on a commencé par faire la grasse matinée, laissant à d’autres le soin d’aller montrer patte blanche, enchapeautés. Et puis il a fallu réparer les dégâts de la vie profane, tout en se préparant pour un avenir imminent.

Curieusement, malgré notre grand nombre, chacun s’est sentit seul. Est-ce là l’essence d’un tel jour ? Où, malgré la foule, les amitiés, les liens de parenté, chacun se sait nu dans cet entre-deux semaines ?

Depuis le tout premier dimanche, inventé pour permettre le repos de la démence, c’était la première fois que les tranches de vie faisaient accordéon de la sorte. Les dimanches d’avant et d’après n’ont rien à voir avec celui-là, qui renfermait tout ce qu’il était possible d’éprouver de dominical. J’entends encore les chœurs à l’église alors que j’épluchais, en vérité, les patates. Et il en fallait, ce jour-là.

Il y eut des violences, des abus, des crises de larmes et des fâcheries. Dans un coin il y eut aussi des mots d’amour, un baiser, à en frémir d’émotion. Un agent de police est venu frapper à la porte. Une cousine éloignée de mon père a été retrouvée noyée dans la mère. Le malaise flottait quelque temps parmi nous, et puis on a proposé une partie de belotte.

Quoi qu’il en soit, si un tel événement a eu lieu, il a bien fallu que quelqu’un ou quelque force écarte le samedi et le lundi l’un de l’autre et les garde assez éloignés le temps que ce dimanche-là se produise. Sans doute ce quelqu’un ou cette force a dû finir par s’épuise… et donc ce fut le dernier dimanche 100% pur. Ou pas.

25 ans déjà ! Les décennies et les demi décennies passent plus vite que les heures de cette journée interminable pendant laquelle il n’y avait pas moyen d’échapper au devoir, au savoir, ni au bon vouloir du pouvoir.

Paradoxale aussi, ce sentiment écrasant de vide, qui émane d’un temps si rempli au ras de bord. Mais à bien y penser, c’est peut-être logique – ce dimanche, on peut le croire, fut sérieusement tellement farci de sens et d’activités, de contre-significations, signes, symboles, affectes projetés et autres phénomènes de remplissage, que l’horaire sensé les contenir n’a pas su résister, et tout a débordé, laissant un véritable gouffre dans cette semaine-là comme il n’y en a jamais eu auparavant et comme, a fortiori, il n’y en aura plus jamais.

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