mercredi

Topologie II

Part I (in English)


Femme

Je ne joue pas.

Homme

Aha !

Femme

Ou... si peu. En tout cas, j'ai du mal à appeler ce que je fais "jouer". Et, en même temps, je me rends à l'évidence. Il n'y a pas d'autre mot. Je m'invente des règles, et chaque commencement transgresse une règle. Les règles ne servent qu'à être bafouillées. Et pourtant...

Homme

Sa petite note de nostalgie laissant entendre, surprendre à la dérobée sa quête intérieure d'une règle ultime, applicable en toute matière... un truc qui marche. Le bon plan. L'humanité aux aguets d'un renversement divin. D'un enrichissement sans peine. Subite, de préférence.

Nous sommes plutôt attendrissants. Question de langage. Mais comment couper court à ce... Je suis pressé. Vous le savez.

Femme

Ça ne change rien. Etre pressé, c'est une façon de vivre une période donnée. La durée est d'un autre ordre, les règles ne sont pas les mêmes...

Homme

Pas de remplissage, je t'en prie. Je commence à comprendre ce qui se passe entre nous. Et je ne sais pas si c'est ça qu'il faut dire, ou autre chose, courir ensemble, faire du surplace, la topographie d'une rencontre au lieu de la solitude. Oui. Je ne suis pas toi. Alors, je ne sais pas si tu es moi.

Femme

Je peux t'affirmer que non. Je ne suis pas toi, j'en suis sûre. Je suis moi. Toi, tu es ce que je ne peux pas être, etc., etc.

Homme

Etc., etc.! Je suis ce qu'elle ne peut pas être, etc., etc. C'est du délire. Autrement dit, je suis tout ce que tu n'es pas et ne peux même pas mettre en mots. Mais comme je n'ai qu'une idée assez vague de ce que tu es, cela ne me renseigne guère sur ma propre identité. Heureusement, je n'ai pas de problèmes de ce genre. Ce qui m'intéresse se trouve plutôt vers, autour de l'absence de l'identité. Là où il n'y a plus de voix. Quand il n'y a que des mots surhumains qui volent et qui font voler les pauvres spécimens que nous sommes et qui nous dictent des lois au delà des lois tangibles, compréhensibles, de la magie. Sans voix. Sans identité. Des forces pures, en quelque sorte. Ces forces-là ne sauraient s'attacher à des individus.

Femme

Je suis tout à fait d'accord. Ces forces-là se trouvent dans les mouvements vers l'autre.

Homme

Je n'ai pas bougé.

Femme

Ton attitude a changé. Tu n'as pas encore fait un mouvement vers moi mais tu n'es plus aussi fâché d'avoir été fait prisonnier qu'au début. Par moments, je dirais même que tu te sens à l'aise. J'en suis contente. Il faut se sentir complètement à l'aise pour bien travailler, n'est-ce pas ?

Homme

Travailler ? Ensemble ? Nous ? Tu dis tout ce que j'évite de dire, tu ne mets en mots que tout ce qu'il est possible de mettre en mots. Je préfère ce que je dis, moi à ce que tu dis, toi.

Femme

J'ai choisi mon rôle. C'est le début qui fait ça. J'aurais pu commencer autrement, à me situer autrement, et sans doute ce rôle va évoluer. Je l'espère ! Mais... je suis quand même bien comme je suis. Oh, c'est pénible parfois. Chercher. Ramper. Tout essayer. Pour dire la vérité je ne connais pas d'autre rôle. Alors je m'efforce d'aimer celui-ci.

Homme

Silence

Femme

Je comprends bien que tu préfères le tien. Je peux même me cacher, te laisser parler tout seul ; comme tu serais content de toi ! Oui. Je peux faire ça. Mais non pas ici. Non pas maintenant. L'enjeu est autre. Je m'impose à toi par une nécessité intérieure. Qui sait combien de temps dure une nécessité, et si elle devient plus ou moins forte ? Il me manque encore des paramètres. Le ton. Je croyais vouloir mourir pour un ton, pour la qualité d'une voix, comme si la qualité enfermait en elle toute la force nécessaire à la vérité, et il n'est même pas utile de dire beaucoup de choses différentes, la même chose suffit, encore et toujours la même chose afin que la trace en soit ineffaçable, mes enfants, vous n'êtes pas assez nombreux pour, pas assez forts pour, vous n'êtes pas capables de changer le monde.

Homme

Et le travail consisterait en quoi ? (C'est incroyable. Elle a tourné les tables. Je la fais parler. Alors que mes mots étaient tellement plus beaux, plus libres. Il y a des passages difficiles. Enfin. Je me sens tout de même capable d'un petit effort d'écoute. Mais le temps passe. Je suis pressé. Et tout ce qu'elle dit il va falloir que je le dise à mon tour, à ma façon, avant de me retrouver de nouveau libre. Quelle corvée).

Femme

Silence

Homme

(Ne vaudrait-il pas mieux rester dans cette isolation... ha ! Je me croyais libre, même ici. Et d'une certaine manière j'avais raison. Je suis, ou, plutôt, j'étais, tout à fait capable d'oublier que c'est elle qui écoute, je ne fais que parler, parler, parler, et c'est la scène qui nous tient lieu de rencontre car si je parlais et enregistrais ma voix sur bande magnétique il n'y aurait qu'un son qui ne serait pas passé par un silence. Dois-je être reconnaissant ? Je ne pense pas qu'il s'agisse de cela. Il y a autre chose.

Femme

Silence

Homme

Je me croyais libre de parler et de m'écouter parler - je la trouve minable. Elle récupère tout ce que je dis. Elle est donc mendiante. Elle a trouvé un moyen de me faire parler d'une situation qui ne m'était pas encore connue. Donc elle est manipulatrice - je suis pantin. Des clichés et des stéréotypes. C'est banal. Mais le fait qu'elle écoute soigneusement tout ce qui me passe par la tête, ou autre chose, tout ce qu'elle imagine que je dirais dans

Femme

Silence

Homme

cette situation... c'est la situation qui est fausse. Elle veut travailler avec moi, et je ne la connais pas. Je ne l'ai jamais vu. Tenter de temps à autre de dialoguer avec moi, de me jeter une perche, de me permettre de me reposer, car je ne suis même pas obligé

Femme

Silence

Homme

d'écouter attentivement ce qu'elle va dire, elle, bien qu'il me paraisse probable que j'y porte une attention toute particulière, du moins, de temps à autre, quand je m'ennuie ou quand je sens qu'elle dit quelque chose de plus ou moins valable, de plus ou moins inspiré, et puis il faudrait qu'elle s'entraîne, pourquoi rompre avec cet état de choses en voulant moi-même quelque chose d'elle ? Une image ? J'en ai a volonté. Plus tard, car nous allons réserver ça pour la fin, quand nous n'aurons plus rien à nous dire, je lui demanderai de changer un paramètre. Lequel ? En serait-elle seulement capable ? Mais tout cela présuppose que la situation actuelle va durer le temps de sa portée. Il n'est pas évident qu'une telle coïncidence entre le langage et le temps soit possible.

Il ne peut exister d'autre possibilité. Quand les mots s'arrêtent il n'y a plus rien à dire et quand il n'y a plus rien à dire les aiguilles se trouvent à une quelconque position sur la face de l’horloge, pour ne pas parler du calendrier.).

Femme

Le travail consisterait en une série d'efforts conjugués. Tu parlerais à moi et je te répondrais. Nous échangerions ainsi tout ce que nous avons appris et tout ce qui nous importe. Même si mes propres mots me semblent dépourvus de sens je les aime. Mais toi, je t'aime autant que mes mots. Ta voix égale la mienne.

Homme

Vous pouvez toujours m'écouter, même si je ne m'adresse pas directement à toi. Ce que tu demandes est impossible, même temporairement. Tout ce que j'ai appris je le sais et je n'ai pas besoin de le dire. Il en va de même pour tout ce qui m'est cher. Cela va sans dire. Comment veux-tu que l'on se parle ? Je n'aime que la liberté. Où est la liberté, dans ton schéma?

Femme

Loin. Très, très loin d'ici. Sur une île. Dans une grotte sur la côte ouest de l'Ecosse. Mais c'est de la liberté inutile. Les réponses ont besoin d'un support. Le monde va mal. Il faut le dire, il faut l'écrire. Il faut inciter les êtres humains à vivre humainement.

Homme

Et s'ils ne veulent pas ?

Femme

Ils ne savent pas qu'ils ont le choix. L'argent parle tellement plus fort que leurs voix intérieures.

Homme

Le plus souvent, leurs voix intérieures ne disent que "l'argent !" et elles peuvent crier très fort.

Et qu'est-ce que tu as comme réponse à ça ? Des mots. Une contrainte. Un rêve de dialogue entre deux solitudes complémentaires. Tout l'amour du monde serait impuissant contre la logique du pouvoir capitaliste, rêver du paradis ne sert qu'à nous enfoncer dans nos enfers, dis-moi de quel choix tu parles, tu ne veux pas que je sois libre de choisir, tu veux t'imposer à moi, m'imposer ta voix, m'imposer tes paramètres, ta vision, tes règles, ta prison, ta contrainte, ton exigence, ta nécessité, la forme de ta pensée.

Et si le choix est entre l'argent et sa voix intérieure cela sous-entendrait qu'il n'y en a qu'une, la même pour tous et pour toutes et que tous nos malheurs découleraient de l'infidélité à son être intérieur, nous voici au

Femme

Silence

Homme

jardin où les fruits n'ont plus de nom, où les serpents n'ont plus de venin, et où se situe le choix maintenant, entre plus de mots encore ou plus de mots du tout, entre homme et femme, de homme à femme de femme à homme, nous sommes des animaux, des monstres et nous le savons, nous ne sommes capables de rien, sinon d'exprimer notre dégoût de nous-mêmes et des autres, je suis désolé, je n'ai guère eu le loisir d'écouter ma voix intérieure, quand je sentais les vibrations

Femme

Silence

Homme

son timbre je n'entendais plus rien, elle m'a, en quelque sorte, englouti, et plus tard, revenu à moi, je me suis engouffré dans le souvenir de son sexe, et, quelque temps après, dépouillé d'émotion j'ai cherché à me faire disparaître en son opposé, et le temps ne faisait rien et les mots faisaient tout, les mots remplissaient ce vide jusqu'à ce qu'il y ait de nouveau des choix, vivre ou mourir, se déplacer ou rester immobile, j'ai beaucoup joué, énormément

Femme

Haut de Silence

Femme

Voilà. Je n'ai jamais prétendu le contraire. Il a toujours été question de mort entre nous. Nous sommes déjà morts de mille morts subtiles. Nous sommes même coupables de tous les meurtres et de toute la violence gratuite ou intéressée. Ce n'est pas une raison de

Homme

joué, tout joué, et je n'ai jamais vu un esprit endormi se réveiller. Je n'ai jamais vu un choix se faire qui n'était pas teinté de mort.

Femme

rendre l'âme, d'en essayer une autre ou de rajuster la vieille pour la rendre capable de se cramponner dans une vie sans avenir. Nous sommes aussi l'avenir et les générations futures auront du mal à se débarrasser de nous. La voix que je cherche n'est pas seulement une voix mais un lieu à l'abri du temps. Tu as raison. Je suis minable.

Homme

Je l'ai dit à moi-même. Je l'ai dit il y a si longtemps. Ce n'est plus vrai. Je ne le pense plus. Ce n'est tout de même pas de ma faute que tu me trouves tellement admirable ! Et que tu voudrais que je t'admire autant. Et que je suis incapable d'admiration. Aucun coup de foudre dans mon ciel si prévisible. Aucune brèche dans mon discours si rassurant. C'est comme ça que tu m'imagines. Je ne suis que le support de ton imagination. Et le plus risible c'est que c'est vrai ! Ton chemin est long.

Femme

Silence

Homme

Mais je peux t'aider. Te faire sortir un peu de ta tombe. Te montrer un autre lieu de rencontre, la rencontre au lieu de la solitude.

Tu devines des forces dans les mouvements vers l'autre mais qu'entends-tu par mouvement ? Il faut annuler toutes nos volontés superficielles et contradictoires afin d'accéder à un contact qui ne te fait pas toi mais qui te fait sien. Et si tu espères garder un lien quelconque avec quoi que ce soit ou qui que ce soit ce lien te tiendra lieu d'être.

Femme

Même si tu cours sans moi tu ne saurais me perdre. Je comprendrai jusque ton non-sens. Tout en moi est affaibli. C'est tellement tentant de t'écouter, sans réagir, sans participer, de m'endormir. Te suivre sans regret vers le lieu de la solitude où tu me suggères une rencontre. Je ne sais si tu me trouveras là ou ailleurs ; j'essaie d'avoir l'impression que tu me cherches mais je sens que tu me fuis et que tu ne souhaites que ma disparition. Je suis pourtant

Homme

Silence

Femme

Là. Ici. Maintenant. Et je ne suis pas pressée du tout. Au contraire. Plus c'est lent et mieux c'est. Quand tu auras envie de ralentir je me mettrai à vouloir courir, non pas par esprit de contradiction mais par souci d'équilibre, je suis née pour être le contrepoids de tes élans afin qu'ils puissent revenir toujours au point de départ et repartir sans rien perdre de leur élasticité, et tu me complètes et tu me donne un sens, un but qui n'est pas un but puisque si près et si loin à la fois, tu me

Homme

Silence

Femme

définis et je me définis en fonction de toi et ce qui se passe entre nous n'est rien d'autre qu'une vie en train de se dire, tu es tantôt bouche, tantôt oreille mais toujours corps. Corps masculin. Mon autre.

On s'en passerait bien ! Par moments. Et puis les sensations refluent selon des voies physiologiques et la certitude et l'exactitude de cette excitation me bouleversent. Une loi à laquelle je ne peux pas échapper.

Homme

Silence

Femme

L'autre, pour moi, en ce moment, est toi. Le mouvement ne peut que se traduire par des mots. C'est le chaos. Si les mots ont quelque chose de calme ce n'est qu'une apparence. Je sais seulement que les mouvements les plus extrêmes sont difficiles à soutenir, à maintenir, à tenir, et que le plus difficile est de les retenir, de les arrêter.

Homme

Tu es triste. Tout ce que tu dis est triste. C'est insupportable. Je ne comprends pas ta tristesse. Elle me met mal à l'aise. Assez ! Amuse-toi un peu !

Nous allons bientôt faire une découverte. Tu devrais pouvoir t'en réjouir comme moi.

Femme

Une découverte ! Ah oui, j'aime les découvertes !

Homme

C'est l'essentiel. Peu nous importe le reste. Les méthodes, les structures, les cadres, les projets, les calculs, les stratégies ; nous les jetterions tous par-dessus bord pour une seule découverte nous concernant directement. Alors, il ne nous reste qu'à découvrir quelque chose ensemble, ou séparément, et puis le partager, de toute façon, si je fais moi-même la découverte tu seras tout de suite au courant puisque c'est toi qui écrit ce que je dis ou ce que tu imagines que je dirais.

Femme

Malheur ! En écrivant ce qu'il disait, ou ce que j'imaginais qu'il dirait j'ai sauté une page. Me voici dans une situation bien artificielle. Je peux impunément remplir cette page car les pages de Femme sont réservés à mes mots. Mais la page de Homme ? Et les autres pages vides parmi celles qui précèdent ? Les remplir ou les laisser vides ? Quel rapport entre les questions de langage, les questions de temps et les questions d'espace ? Quels rapports entre l'espace et le pouvoir, le pouvoir et l'argent, l'argent et l'âme, l'âme et l'âme ?

Homme

Silence

Femme

Silence

Homme

Le seul problème se pose dans l'hypothèse contraire. Si tu fais la découverte, comment m'en faire part, puisque je n'ai pas le même rapport à ce que tu dis que tu as à ce que je dis. A vrai dire, je ne t'écoute qu'à moitié. Peux-tu crier ? Non. Tu ne veux pas crier. Il faudrait que je puisse t'aimer mais ces choses-là ne se commandent pas et je me casserai la tête plus tard à essayer de me rappeler tes mots, alors qu'en ce moment les miens m'importent plus. Tu

Femme

Silence

Homme

as mal choisi la situation. Tu aurais dû nous mettre dans un rapport amoureux réciproque, si ça existe, et même, puisque tu es libre d'inventer, tu aurais pu inventer ça, mais ces choses-là ne se commandent pas et tu n'as sans doute pas voulu que je t'aime. Tu n'as pas voulu t'entretenir avec un homme qui t'aimait mais avec un homme qui ne te connaissait pas. Je suis cet homme. L'homme qui ne te connaît pas. Et je te fuis, comme tu fuis les hommes qui te poursuivent. Pour aller où ?

Femme

Non. L'amour n'est pas silence. L'amour est musique. Une musique tellement intime que c'en est universelle. Même ceux qui n'ont jamais connu l'amour le reconnaissent dans cette musique-là. Il suffit de tendre l'oreille.

Il suffit de vouloir tout recommencer, de recommencer à construire dans la réalité.

Homme

Vers un fond glacé. Tout est possible et pourtant rien ne se fait. Rien, en dehors de quelques phrases. L'amour est silence. Nos phrases sont désir d'amour.

Femme

Silence

Homme

Un abri. Une habitation. Un lieu. Nous y voilà. Il n'y a plus de murs. Je reste pour finir ce que nous avons commencé. Je ne suis plus prisonnier. Il n'y a pas non plus de toit. Nous n'avons rien construit. Nous n'avons fait que délimiter un petit bout de terrain loin des autres, au coeur de tout. Nous n'avons pas creusé des fondements, nous sommes restés sagement à la surface. Pieds sur terre. Têtes en l'air.

Femme

Ce n'est pas la première fois que je viens ici.

Homme

Je m'en doute.

Femme

Je suis venue seule, à plusieurs reprises. Il me semble que je cherchais quelqu'un ici. Je n'ai jamais trouvé la personne que je cherchais. Il s'agissait toujours d'un homme mais non pas du même. Une voix d'homme m'a toujours répondu. Je ne suis jamais restée longtemps à parler avec la voix qui me répondait. Je ne sais pas si c'était toujours la même voix ou non. Je n'ai jamais donné beaucoup d'importance à ses propos. Car elle n'était pas la voix que je cherchais, et elle ne me donnait pas l'image d'un corps.

Homme

Et maintenant que tu as l'image d'un corps collée à la voix qui te répond tu crois avoir trouvé la voix que tu cherchais et tu l'écoutes de toutes tes forces. De tout ton être. Je ne sais pas comment le dire autrement. Il me semble qu'il est important que je ne te voies jamais mais il est possible que je t’aie déjà vu. C'est compliqué tout ça. On ferait mieux de passer outre. Un regard en vaut bien un autre. Un regard ne peut plus tout dire. Savons-nous seulement écouter les yeux ? Parlons d'autre chose.

Femme

De la pluie acide et de la sécheresse. Du mythe du déluge. De ma volonté de te parler. De ma volonté de t'écrire. Ou est-ce simplement désir ? Quel rapport entre la volonté et le plaisir ? Entre un message et sa réception ? Nous posons beaucoup de questions sur les rapports entre les mots.

Homme

Et les mots posent beaucoup de questions sur nos rapports. Nous devons toutefois éviter les questions. Elles ont déjà été posées, toutes, par des compétences. Les réponses se trouvent quelque part, sans doute, et ne nous concernent pas ici.

Femme

Je suis désolée de t'interrompre. J'ai déjà évoqué le fait que, pour moi, ce que nous nous disons ici a la qualité d'une réponse, même quand il s'agit d'une question ; je me rends compte que ce n'est peut-être pas satisfaisant pour toi, comme attitude, mais il s'agit d'une sensation dont il faudrait tenir compte, si nous allons nous entendre sur quoi que ce soit. Ceci dit tu peux continuer ce que tu étais en train de dire, maintenant que je t'ai fait part de mes réserves à ce sujet.

Homme

Je te remercie. Je ne sais pas si je vais pouvoir en tenir compte mais me voici averti, n'est-ce pas ? Il me semble qu'il y auraient des choses à dire sur nos rapports. Ceci dit, j'ai de plus en plus envie de me lancer de nouveau vers mon domaine de prédilection, sans oublier, car je l'ai bien compris à présent, que tu écris, mais sans pouvoir, pour l'instant du moins, accepter ton pacte et m'adresser directement à toi en tant qu'autre. L'altérité m'intéresse. Je parle, à cet instant, à toi.

Femme

Mais tu ne peux pas me promettre que tout ce qui va suivre va être adressé à moi, en tant qu'autre, directement car on ne sait jamais à quel moment on va éprouver le besoin de prendre son élan. Je t'écoute. Ou, plutôt, je t'écris, car je n'aurais peut-être pas le temps d'écrire et d'écouter, mais comme je vais pouvoir te relire par la suite, je m'en fous. J'ai des crampes, ma main me fait mal, il ne faut pas en tenir compte.

Homme

Il faudrait investir dans une belle machine à traitement de texte. Il n'est pas forcément nécessaire de souffrir physiquement. Les affres spirituels et morales suffisent à la création.

Femme

C'est mon intention. Mais il est agréable d'écrire avec un stylo. Et puis, j'avais envie de remplir un livre. C'est pour ça que j'avais besoin de toi.

Homme

Quand la présence de quelqu'un nous importune il est toujours possible d'y échapper par la voie intérieure. Il y a des gens qui sont incapables de rester longtemps en présence d'un autre et ils échappent en permanence, de façon intermittente. Paradoxalement ce sont souvent des êtres qui ne sont pas non plus capables de rester seuls, en compagnie d'eux-mêmes, et ils recherchent la présence de l'autre afin d'y échapper. Toi, tu aimes la solitude et tu aimes t'entretenir avec toi-même et le contact que tu recherches chez l'autre est trop

Femme

Je rencontrerai sûrement quelqu'un sur mon chemin qui a le même besoin de contact ou qui a besoin du même contact que moi. Sans cela la vie est impossible. Je l'ai lu quelque part. Et je le crois. Il doit bien exister un autre être qui pense comme moi, qui ne demande pas mieux que de me rencontrer. Ou bien quelqu'un qui ne pense pas comme moi mais qui cherche justement une femme qui ne pense pas comme lui, ou comme elle, car une amitié féminine ne serait pas de refus.

Homme

intense. Ou trop soutenu, peut-être. Ton besoin se fait sentir de façon trop aigue. Tu ferais peut-être mieux, après tout, de chanter, plutôt que de chercher quelqu'un à qui causer.

La voix, pour être intéressante, doit être désintéressée. Il ne peut pas y avoir question de réponse. Je reviens là-dessus. Je parle donc à toi. Mais d'où est-ce que je parle ? De loin, déjà. Le temps et l'espace ne font qu'un quand on est dans le langage. Je ne saurais pas dire pourquoi il en est ainsi, ni ce que cela veut dire.

Femme

Cette distance-là, je peux la prendre, moi aussi. Ce qui me chagrine le plus est que tu me sous-estimes. Et comme je vous admire outre mesure, je me trouve...non. Ce n'est pas de votre faute si je manque de confiance. Je me mets moi-même dans cette position. Je ne sais pas de quoi je suis capable, pour le meilleur ou pour le pire je ne connais pas mes limites et j'en meurs, j'en ai peur. J'ai peur de cette solitude de plus en plus profonde qui se creuse autour de moi. A mesure que j'avance sur mon chemin.

Homme

A mesure que tu me parles, et que tu m'écoutes parler. Tu sais que je serais jamais à toi. Et même si je l'étais, cela ne changerait rien, etc., etc.

Le langage peut servir à transmettre un message et dans ce cas on parle de communication. Afin de pouvoir communiquer, il faut tenir les deux bouts. Il y a des gens qui ont des messages mais ils ne tiennent pas les deux bouts et ils ne peuvent donc pas communiquer. Il y en a d'autres qui, eux, tiennent les deux bouts et qui n'ont pas de message.

Femme

J'ai l'impression que tu me donnes le plus difficile. Ou bien tu as réellement l'esprit plus souple que moi.

Alors ceux qui tiennent les deux bouts mais qui n'ont pas de message ne se privent pas des joies de la communication et communiquent des messages venus d'ailleurs et notamment du pouvoir qui, lui, essaie de tenir tous les bouts possible afin de se propager. Or, il reste ceux qui tiennent les deux bouts et qui ont un message à transmettre. Dans ce cas, ils communiquent leur message...

Homme

... qui se trouve en contradiction avec le message qui a été conçu dans le but d'un profit. Ou, en tout cas, se trouve dans un autre code, une autre forme du langage, une forme à laquelle les gens qui sont habitués à écouter des messages qui ont pour but de leur prendre quelque chose, ne serait-ce que leurs sous, n'ont pas facilement accès, puisqu'elle est le fruit d'une activité désintéressée, chose pour laquelle beaucoup de gens n'ont pas le temps. Sans oublier qu'il est aussi difficile à prendre qu'à donner.

difficile de prendre que de donner.

Femme

Alors il faudrait écrire dans ce code-là, le corrompre de l'intérieur, le faire éclater. Ce n'est pas une perspective réjouissante. Mais pour moi, c'est une découverte. Une découverte dont je ne sais que faire. Mais il est tôt. Il faut laisser couler un peu plus d'encre. Y revenir par la suite. Si le coeur nous en dit.

Il y a de quoi commencer une révolution. Il faudrait être nombreux. Nous ne sommes que tous les deux. Et encore.

Homme

C'est ça. Nous ne savons pas encore si nous pouvons travailler ensemble. Il y a encore des zones troubles.

Non pas que je souhaiterais une clarté éblouissante ! On en devient aveugle, à ce qu'il me semble. L'obscurité est propice à notre oeuvre jusqu'à un certain point et il nous suffit de convenir de jusqu'où nous voulons que la lumière s'arrête ou commence, selon son point de vue. Tu ne peux tout de même pas écrire les yeux fermés, alors que moi, j'aime parler dans le noir.

Femme

En cela réside une de nos différences, une de mes limites. S'il n'y avait plus la moindre étoile dans le cosmos je serais obligée de faire autre chose. Mais incapable. J'aime ce que je fais car je fais ce que j'aime. J'ai du mal à accepter que le soleil va nous laisser tomber.

Homme

Que comptes-tu faire après ?

Femme

Je me mettrai sur une autre planète et j'écrirai de mémoire l'histoire de la terre. Du début jusqu'à la fin. L'écriture est une obsession. Quoi qu'il arrive, je ne peux pas faire "autre chose". Et même à l'intérieur de ce domaine restreint de l'expérience vécue, de l'activité humaine, mon chemin est horriblement étroit.

Et toi?

Homme

Je pense que je parlerais plutôt de la nouvelle planète, de la terre d'accueil. Oui.

Dans un premier temps, j'évoquerais les différences les plus saillantes entre les deux milieux. Cela peut durer plusieurs générations. Et puis imperceptiblement mes paroles se sépareraient du monde révolu pour ne parler que de l'environnement nouveau et futur. Qui sait si quelque chose dans le timbre garderait l'empreinte indéniable de ses origines ou si, au contraire, l'adaptation serait à la longue totale, jusqu'aux mots eux-mêmes.

Femme

Une langue extra-terrestre ?

Homme

Nous ne savons pas dans quelles conditions la terre d'accueil supporterait la vie telle que nous avons l'habitude de la considérer. Nous ne savons pas à quel point nous sommes capables d'adaptation physique. L'environnement peut être extrêmement hostile ou extrêmement hospitalier. Et nous évoluerons en conséquence. Ou pas du tout, selon le cas. Tout cela est intéressant, certes, mais très loin. Il y a tellement d'êtres humains qui ont du mal à s'adapter au monde dans lequel ils sont nés. Et les plus forts prennent tout. Sans scrupules. Sans regret. Sans penser.

Femme

Ou en pensant qu'ils sont bien contents d'être les plus forts et d'avoir tout pour eux. Ils échappent à la guerre comme à la torture, la famine et l'oppression. Ils échappent à tout. Rien ne les arrêterait. Rien. Rien. Rien.

Nous nous arrêtons à tout car nous avons peur de la mort et nous voulons vivre plus que tout.

Homme

Nous sommes déjà parmi les morts. Nos idées ne sont bonnes que pour une petite parenthèse. Elles ne peuvent pas avoir cours parmi le foisonnement de la vie où tout est directe et réglable à l'avance ou par crédit mais d'une manière ou d'une autre comptabilisé quelque part. La gratuité n'existe qu'ici et dans des sourires échangés entre des personnes qui n'ont même pas l'intention de se parler mais qui s'aiment, comme ça, de loin et qui se le disent par une décontraction de la musculature du visage. Je me concentre, je suis tendu, je mets tout en oeuvre pour que les mots passent par ici.

Femme

Et ils viennent et je les attrapent par ci par là, comme des petites bulles de vie remplies de temps, et il y a de tout là dedans, du temps vide comme des années d'attente ou de mort, du temps plein comme des années de vie, des tentatives de destruction et de construction, d'amour et de haine, de solitude et de plénitude partagée, des moments. Des moments séparés que je voudrais coller ensemble. Et je ne puis. Il faudrait une autre image.

Homme

Tu voudrais un ensemble cohérent ! Je vous connais, vous, les écrivants ! Votre nécessité de remplir les vides et de ne rien laisser au hasard et mieux, de récupérer jusqu'au hasard lui-même dans un schéma qui englobe tout. Voici votre monde ! Voici votre vie dans toute sa splendeur et si vous voulez garder quelques illusions sur la nature humaine ou sur votre propre comportement ne lisez point. Et vous vous effondrez, épuisé, étonné de ne pas éprouver de satisfaction après avoir tout dit et vous vous arrachez les cheveux car tout reste à dire et le tout qui reste à

Femme

Silence

Homme

dire est un tout plus grand que le tout qui vient d'être mis en mots alors vos limites vous commencez à les sentir à partir de l'impression d'avoir tout dit et de vous retrouvez face à un tout plus grand et c'est à partir de cette sensation de limite que vous commencez à mentir d'abord aux autres puis à vous-mêmes afin de sauvegarder un reste de sens qui vous permet de vous supporter et de supporter l'existence.

Alors que celui qui se contente de parler a des prétentions d'un autre ordre. Il connaît le temps, intimement. Il le sent passer et il le laisse circuler librement, sans trouille et il se

Femme

Silence

Homme

dit "Voilà ma vie qui passe à travers moi. Ces mots - ou plutôt, ces paroles - sont les bruits de ma vie qui se déroule qu'il pleuve ou qu'il fasse beau. Ces bruits me rappèlent que je suis en vie et que je suis moi et ceci tous les jours. Ça commence au réveil et ça se termine au moment où je m'endors. Est-ce que je parle pendant mon sommeil ? Je ne le sais. Je dois ronfler. Et à partir du moment où je n'entendrais plus ces bruits, je ne serais plus."

Voilà ce qu'il dit, celui qui parle. Tout le reste est jeu.

Femme

Tu oublies que si le sens de ce que celui qui se contente de parler se dit au cours d'une journée se résume à ce que je viens d'écrire entre guillemets il faut toujours trouver des combinaisons différentes de mots afin d'éviter la répétition car même celui qui se contente de parler ne peut pas se contenter s'arranger pour arrêter le temps et l'impossibilité de s'endormir suscite d'autres mots encore.

Est-ce que je me fais comprendre ?

Homme

Oui. Parfaitement. Nous sommes sensiblement au même point. Rien de ce que tu as écrit me retient suffisamment. Nous ne mettons pas assez de substance dans nos phrases. Tu as beau écrire, nous avons quand même des hésitations à nous égarer dans le non-sens. Nous ne parlons pas pour rien. J'avais pourtant une sensation de gratuité mais c'était liée à un don gratuit de ce que nous tenons pour être sens. Se dire, s'écrire, se comprendre, se faire comprendre. Nous sommes fiers de faire ce que nous sommes en train de faire et nous entendons aller jusqu'au bout mais si nous

Femme

Silence

Homme

savions en quoi consisterait ce bout nous serions incapables de faire une page de plus.

Est-ce que nous nous cachons le bout afin de pouvoir continuer ou avons nous raison de croire qu'il n'y a pas de bout et continuer signifie éloigner ? Quoi de quoi ?

Inutile de poser des questions car une question veut dire que nous ne connaissons pas la réponse. A moins de s'intéresser l'un à l'autre et de se poser des questions personnelles. Sur l'enfance, par exemple. Ou sur ce que nous avons fait dans la journée, en dehors de ce livre.

Femme

On ne peut pas parler de tout ça ici. Il y a un autre enjeu ici. L'enjeu de la résistance.

Homme

Autrement dit il n'y a plus d'enjeu du tout. L'enjeu est tombé. Toute à l'heure je parlais d'un fond glacé alors que je veux tellement rester sur les hauteurs. En ce moment j'ai perdu jusqu'à la sensation d'un haut et d'un bas, et les vibrations de ma voix me paraissent bien monotones. Je la place, ma voix, machinalement, automatiquement. Et vous ne m'aurez pas. Je ne suis pas une fleur à cueillir. Et je ne t'aurai pas. Tu es comme une langue étrangère qui évolue à la vitesse de l'apprentissage de sorte que la maîtrise en soit impossible.

Femme

Tu peux maîtriser tes propres mots. Tu ne peux pas maîtriser les miens. Je ne veux même pas maîtriser les miens. Je veux qu'ils me bousculent, qu'ils me déchirent ; je n'ai pas d'autre moyen de m'éclater. Chaque phrase a quelque chose de bon et quelque chose de mauvais en elle. Corriger, ce serait enlever le mauvais. Mais la vie est comme ça. Des moments ambigus, paradoxes où se mélangent le désiré et le non désiré. Une excitation. A quoi bon le camoufler ?

Homme

A quoi bon l'art ? Il s'agit de mettre sa chose au monde. Tu ne peux pas manger une pomme de terre crue non épluchée, sinon en cas de faim extrême. Nous voici à l'appétit qui vient en mangeant et à la faim qui vient plutôt en ne pas mangeant.

Il y a des voix qui ne parlent qu'avec des intonations grinçantes. Elles ne s'écoutent sans doute pas. Elles ne se désirent sans doute pas. Nous voici au désir et au jeu de la séduction. Le jeu que tu n'as pas voulu jouer avec moi.

Femme

Je ne peux pas. Je ne peux que me montrer telle que je suis dans l'espoir de me dépasser. On ne peut pas apprendre à séduire. On le fait d'instinct.

Je voudrais vous plaire. Je ne suis pas assez avancée dans mon travail. Car les mots viennent avec une force telle que je ne les retiens pas le temps de me demander s'ils vont vous plaire ; je ne sais pas les accommoder à votre sauce, à ton goût. Nous voici dans la cuisine.

Homme

Et les odeurs nous empêchent de penser au langage et au temps, mes deux thèmes préférés. Le temps et le langage. Quel soulagement de pouvoir s'occuper l'esprit de ce dont nous tenions le plus au monde. Le langage, le temps, et la relation sexualisée. Je suis un homme. Vous êtes femme. Nous aimons les mots, le langage. Le temps passe. Voilà de quoi jouer ! Une femme qui écrit. Un homme qui parle. Un langage en voie d'évolution. Le soleil qui est en train de s'éteindre.

Femme

Nous avons cinq milliards d'années pour perfectionner le langage. Mais c'est un faux singulier. Il y en a tellement. J'avoue que je suis perplexe. Qu'est-ce que l'amour ? Est-ce l'anéantissement de tout langage ? Un état d'esprit ? Une ambiance ? Alors les mots sont facultatifs. Mais je n'ai qu'eux, pour rester dans cette ambiance et ils ne servent qu'à me retenir dans cette ambiance. Je suis prisonnière! Et le pire,

Homme

Silence

Femme

c'est que je n'ai aucune envie de m'évader. Je veux simplement partager cette ambiance avec toi. La prochaine fois je m'effacerai, oui, je sais, j'aurais dû m'effacer cette fois, ce n'était pas possible, j'avais trop besoin de t'écrire, de me confronter à toi ou à mon imagination de toi et de faire en sorte que tu te trouves confronté à moi, une tête à tête dont je ne pouvais me passer. Nous voici revenus à l'énergie. Ton énergie qui suscite en moi une énergie de même nature.

Homme

Maintenant que tu nous as trouvé une parenté je peux continuer tranquillement mon chemin. J'aime tes crises, qui ne cassent rien. Peut-être parce qu'elles ne vont pas encore assez loin, et puis, il est difficile d'aller tout de suite trop loin avec quelqu'un qui n'est pas assez près. Tu ne me connais pas. Tu voudrais partager mon succès. Je comprends bien. Tu n'es pas la première. J'espère que tu ne seras pas la dernière. Cela fait partie du succès. Cela attire. Tu ferais mieux

Femme

Silence

Homme

de cultiver ta propre force que de la gaspiller en essayant de t'approprier celle de quelqu'un d'autre.

J'enchaînerais volontiers sur ton choix de lecteur, ou sur la question d'un lecteur tout court, car je l'ai moi-même déjà évoquée, en anglais, dès que j'ai compris qu'il s'agissait d'une tentative d'écriture. Mais j'ai d'autres préoccupations. Tu dois toi-même te pencher sur cette question-là ou bien continuer ton chemin en écrivant pour ceux qui t'inspirent. Je n'écris pas. Je ne puis te donner des leçons. Tu t'es trompée si tu as cru voir en moi un maître. J'ai du mal à couper, à me couper de toi afin de continuer... d'accord ! Tu écris. C'est parfait. Laisse-moi parler. C'est pour cela que nous sommes ici. Ou est-ce que tu as encore des idées derrière la tête d'un partage équitable des pages, tu vas nous obliger, peut-être, à s'exprimer une page chacun à tour de rôle, afin de ne pas laisser de vides dans ton beau livre qui t'a coûté si cher, et l'argent est si difficile à gagner, n'est-ce pas ? Mais non, tu es au-dessus de tout ça, tu me laisserais tout le reste de l'espace, si je veux bien le prendre, toutes les pages qui restent, si j'en ai envie, les pages de Homme, n'est-ce pas. Tu te réserves les pages de Femme, on ne sait jamais, tu auras peut-être toi aussi envie de gribouiller quelques mots, et de toute façon, puisque nous avons commencé comme ça il faut bien aller jusqu'au

Femme

Silence

Homme

bout, personne ne comprendrait rien à rien si ma voix se mettait à remplir tout à partir d'ici ou d'ailleurs, où est-elle passée, la femme qui écrivait ? Elle a compris la sagesse du silence, mais la bataille est loin d'être gagnée et elle me reléguera à la page Homme des livres entiers avant d'admettre que ce soit ma force qui l'emporte.

Je ne suis pourtant pas d'humeur à lutter dans une lutte si futile. Fay ce que voudras.

Femme

C'est le temps qui me pousse à remplir les pages de Femme. Nous sommes limités par les pages, et je ne veux pas m'arrêter avant la dernière, et d'une étrange façon nous nous parlons, tu te sers de mes mots comme d'un plongeoir.

En dehors de ce que tu dis et de ce que j'attends de ta présence ici, j'ai une rage accumulée au cours des années de lecture de voir les "e" qui signalent la présence d'une femme, je suis heureuse d'écrire, je suis contente de cette voix trop longtemps absente.

Homme

[Elle a encore sauté une page. Il faudrait qu'elle fasse plus attention. A moi de me soucier de ses paramètres. Des règles, que l'on adopte comme on monte dans un train, un avion, pour faire un petit voyage qui ne va rien changer puisque l'itinéraire nous est connu d'avance. Seul peuvent changer les compagnons de voyage. Et seul un accident peut nous rapprocher d'eux. Combien d'heures faudrait-il rester dans une salle d'attente d'aéroport pour que chaque voyageur vit un moment limite qui le permet de parler à quelqu'un qu'il ne reverrait plus ? Elle me dirait tout sur elle si je savais demander, si j'en avais la curiosité. Et elle me laisserait tout dire sur moi. Mais nous voulons remplir les pages d'autre chose sans savoir ce que nous essayons de savoir l'un de l'autre avec pour seule certitude tout ce dont nous ne voulons pas entendre parler. Ainsi nous nous intéressons à l'encre, au papier, à la disposition et à la distribution des mots, à nos phantasmes les plus enracinés, espace de notre rencontre. Je dois bien parler d'une rencontre car c'est la seule contrainte que je ressens au cours de ces mots ; celle d'avoir à l'esprit la présence d'une femme qui écrit tandis que je suis un homme qui parle. Je ne fais aucun effort pour la cerner. Il me semble que je la connais de la même façon qu'une zone un peu trouble en moi-même, d'où émanent parfois des voix impérieuses et contradictoires que je n'arrive pas bien à saisir.]

Femme

Il a fallu que je te rencontre pour qu'elle prenne cette forme. Et partout où tes paroles t'emmènent elle sera là, juste à côté, avec une "réponse" à tout ce que tu dis ; tes silences ne seront plus vides mais repos. Liberté. Et si je t'avais, moi, de cette façon-là je me dirais la même chose. Je me reposerais en toi. Or, je ne peux le faire que dans ce livre, et à la fin de ce livre je serai de nouveau seule, en panne d'inspiration. Sans un homme je ne suis pas une femme.

Homme

[...et que je ne puis supporter longtemps sans que quelque chose en moi crie "Assez !" Et je retrouve mon calme. Elle a effectivement mal choisi ses paramètres car nous débordons dans tous les sens et finalement ce ne sont que ces débordements-là qui nous intéressent. Nous portons volontiers ce joug afin de le comparer à son absence.

Je n'ai aucun scrupule à avouer que je suis perdu. Mes paroles me jouent souvent de ces coups ! Je rigole. Cela me soulage. Sagement, avec amour, je ferme définitivement cette parenthèse].

Femme

Silence

Homme

Tu ne peux pas me reprocher de te laisser tomber à la fin. D'abord, nous n'en sommes pas encore arrivés là. Deuxièmement, je ne t'avais rien demandé. Tu ne peux pas faire irruption dans ma vie et me demander de t'aimer dorénavant, au delà de ces phrases et de cette situation horriblement fausse.

Tu n'as pas voulu me séduire. Tu n'as pas voulu me retenir. J'ai besoin d'être seul pour réfléchir. Qu'est-ce que ce besoin que d'être nécessaire à quelqu'un d'autre ? De faire partie d'eux ?

Femme

C'est un besoin comme une autre. Une envie comme un autre. Autre. Pas moi. Voix. Réponse. Vérification. Confirmation. (J'existe, c'est vrai, puisque lui...). Miroir. Tu es comme ça. Arrêtez-moi. Je ne sais pas m'arrêter. Trouvez-moi merveilleuse, magique, sois tributaire de ma magie, ayez soif de mes mots, faim de ma présence, de l'appétit pour mes idées, du goût pour mes caresses. C'est tout ce que je te demande.

Homme

Que comptes-tu faire de tout ça ? Tu ne comptes pas. Tu te vois dans un tourbillon qui t'entraîne vers un centre. Le centre est à mi-chemin entre toi et moi. Entre toi et l'autre.

Entre moi et un grand vide que rien ne remplirait même pas des mots. La vie est ce qui nous échappe. La vie nous échappe pendant chaque instant vécu. Rien ne peut nous rapprocher. Je n'ai pas besoin du besoin. J'ai besoin de ce grand rien.

Femme

De ces pages vides. Moi aussi. Je ne peux pas te laisser seul dans un tel espace. Tu l'auras tout pour toi à la sortie du livre et je l'aurai tout pour moi et je n'aime pas l'admettre mais nous souffrons ici de notre "rencontre". Nous n'avons peut-être rien à faire ensemble et pourtant nous ne pouvons pas nous passer de la suite. Je veux pouvoir me dire que j'ai au moins fait l'effort d'accepter ce partage. Si partage est le mot. Je ne sais pas.

Homme

Echange. Je te donne moi, tu me donnes toi. Tu me donnes l'encre là où il faut. Je te donne le mouvement de ta main qui est celui de ton coeur et de tout ton être. Tu ne sais pas ce que tu veux. Tu n'as jamais éprouvé quelque chose en présence de quelqu'un d'autre qui valait la peine d'être approfondi en dehors d'ici. Mais un os est vite rongé et tu vas bientôt tomber dans le vampirisme. Anthropophage. Laisse moi vivre !

Femme

Alors vis ! Je n'ai plus la sensation que ce qui se passe ici ait un sens. Ils prennent mes titres et collent des mots à la suite, des mots qui ne me renseignent que péniblement sur l'état du monde. Et quand ils laissent voir leur jeu cela me dégoûte car il est mensonge, il est fausse situation, il est illusion de grandeur. Un livre n'est qu'un livre et des mots ne sont que des mots. Il ne font pas de l'écrivant un être privilégié, et quand il croit

Homme

Silence

Femme

voir loin il ne voit même pas la peau de sa nuque et quand il croit avoir tout compris il n'a même pas compris comment il est arrivé sur terre et comment il va la quitter et quand il croit avoir tout dit il ne met dans ses mots que l'image d'une grimace de suffisance qui me dégoûte par-dessus tout et il en fait un autre et un autre et nous gobons ses limites qui nous font l'impression d'un monde rétréci et nous laissent sur notre faim. Quel inconvénient que d'être insatiable.

Homme

Ou insatisfaite. Le monde n'est pas terminé. Seule la vie se termine vraiment comme il faut, totalement, sans aucun doute. Cela laisse la conscience tranquille. Voilà mon grand vide; point de départ et case d'arrivée. Je ne te vois nulle part. Je ne te sens plus comme une plaie dont on ne peut guérir. Alors tu as réussi à rentrer en moi ? Nous ne pouvons pas le savoir maintenant. Nous ne pouvons pas le savoir. Cela se saura un jour, t'inquiètes pas. Ecris, sois femme et écris.

Femme

Elle voulait changer de voix mais cela s'est avéré impossible. Elle n'a qu'une voix. Les autres sont des fausses voix comme les voix entendues un peu partout. Au lieu de décrire simplement les règles du jeu (image, argent, énergie) elle s'en invente d'autres et affirme qu'elle ne joue pas. Ne pas jouer, c'est simplement jouer le tout pour le tout car jouer est la première et unique façon d'agir que nous sommes capables d'assimiler très jeunes. Un enfant qui n'a pas le sens du jeu, ou qui confond jeu et réalité, restera enfant et ne gagnera que ce droit.

Tous ces clins d'oeil à un être supérieur ! L'esprit a beau s'élever, voltiger dans les hauteurs à la recherche d'un signe ou pour l'agrément, la matière reste enfoncée à l'endroit même ou il a pris conscience de quelque chose pour la première fois.

Nous avons tout pollué, et dans l'altérité la source ne peut pas se renouveler à l'infini. Tout s'épuise.

Homme

Le papier et l'encre. Mais le désir de parler ne nous quitte pour ainsi dire jamais. Et si nous ne parlons pas à voix haute nous sommes quand même en train de dialoguer avec nous-mêmes, d'emmagasiner des images en les reconnaissant, en les percevant et en les invitant à entrer en nous ou de répertorier nos perceptions passées afin de nous demander ce qu'ils nous faudrait comme nouvelle expérience afin d'enfin coïncider avec nous-mêmes.

Femme

C'est vrai. Tu es inépuisable. Les doutes, les craintes, toute la négativité vient de moi, réside en moi. C'est pour cela que nous préférons ta voix mais il faut quand même quelque chose pour la mettre en valeur. Une autre voix. Une écriture. Bien entendu, cette écriture-ci ne prétend pas rendre le grain de ton parler comme le ferait un espace vide, dans lequel l'oreille serait libre et à l'écoute dans le noir. Un autre élément entre en jeu.

Homme

Il y a un jeu ? Ma chair écrivant, me voici à vous. Suspendu à tes virgules, avide de tes petites courbes noires !

La terre nous a porté jusqu'ici. Ôtons nos déguisements et rendons hommage à l'anatomie, à la physiologie, à la santé.

Femme qui m'adore, je t'oublie encore, pour ton bien et pour le mien, faisons comme si, faisons comme cela : notre entente enjambe des continents et nous réunit dans nos séparations.

Femme

Silence

Homme

Il est vrai que nous manquons parfois de ce qu'il nous faut. Passons. Ce ne sont pas là de vraies histoires.

Histoires, Histoires, Stories, strange struggles to tell it as it was not. You didn't want this here.

Tu le voulais ailleurs. Nous avons fait le même rêve. Chacun jouait son personnage. Voilà où nous nous sommes rencontrés.

Je ne me rappelle plus comment je t'ai quitté. Je pense que tu m'as abandonné.

Femme

Silence

Homme

Tu avais trop envie de me faire croire à ma liberté, à la fin je ne te sentais plus nulle part. Et oui. C'est souvent comme ça. Et toute la violence dont je suis capable et toute la tristesse dont je suis l'auteur aveugle.

Je continue. Parole d'honneur, parole égarée, parole, paroles, sur ma.

Je suis grand. Je peux parler tout seul. Pour moi-même.

Femme

Silence

Homme

Il n'est pas question de besoin. Il y a eu des malentendus. Quelques oreilles bouchées. Des gens qui n'écoutaient pas. Comment faisaient-ils pour penser que ce qu'ils feraient sortir de la gorge auraient plus de poids que ce qu'ils manquaient d'entendre ? Je ne le sais. Voir clair dans tout cela. Voir clair ici à l'intérieur, paupières closes. Des couleurs bougent. Il y a des intensités et puis plus rien. Je fixe un point et il me mène un drôle de danse. Rien ne peut être fixé, ô petit univers à l'image du grand.

Me voici revenu aux flux et aux reflux. Me voici de nouveau un homme qui parle alors que naguère j'étais ange, n'est-ce pas, il avait un je ne sais quoi de divin je le jure sur la tête de ma mère. Our father, which art in heaven? Hallowed be thy name.

Ils y mettaient le paquet. Ils étaient obligés. Question de vie et de mort.

Il faut croire que cela a plutôt bien marché pour eux, la prière a valu à tant d'âmes un peu de ce calme intérieur qui fait l'agrément de certains et qui n'est pas facilement accessible par d'autres moyens. D'autres voies. Tout y passe. J'ai appris l'alphabet par coeur. Et un grand nombre de mots aussi. Il y a eu de ces livres inépuisables ! Qui ont semblé jaillir d'un point infinitésimal.

'Y a des terrains vastes aussi, qui disparaissent d'un coup.

D'un coup de quoi ? De tête ? De langue ? Quels sont mes propos, je me le demande sans grand sérieux. Il ne m'intéresse point de savoir de quoi je parle car je parle. Et cette voix qui est un don de la nature s'occupe elle-même de trouver

Femme

Silence

Homme

ses propos sans qu'elle nécessite mon intervention en aucune façon. Joie, certes. Et tout le reste.

J'imagine que la joie triomphe; abstraction faite des impasses. Des résistances, comme dirait une autre. Oui. Je pense à elle. Nous sommes les gagnants. Elle et moi. Nous avons surmonté je ne sais quelle barrière, soulevé je ne sais quel voile et nous voici ensemble pour de bon sans l'être vraiment.

Femme

Silence

Homme

Pour revenir à elle il suffit de souhaiter atterrir un instant. Pour souhaiter revenir à elle il suffit qu'elle ait un instant le courage de s'éloigner car je ne me perds pas dans la parole, je ne me perds pas dans le langage, c'est elle qui se perd. Chaque fois au même endroit. A l'endroit déjà évoqué. L'endroit de la première prise de conscience. Je ne veux pas analyser son discours mais plutôt... lui laisser la parole pour qu'elle se rende compte

Femme

Silence

Homme

d'elle-même qu'elle se réfugie dans des mots plutôt que de se donner dans des phrases. Je dis phrases car j'allais dire parole et il n'est pas à moi de porter un jugement sur l'usage que l'on choisit de faire ni de son temps ni de son langage. Ma préférence pour la parole est purement subjective.

Toujours est-il qu'au lieu de revenir à elle je m'en suis éloigné. Je ne peux pas m'arrêter ici. Je ne voudrais pas la faire atterrir de façon si brutale.

Je n'ai guère l'habitude des retours tendres. Le plus souvent je me laisse aller sans penser au retour. Sans revenir. En cassant le fil sans le sentir se casser. Tout est là.

Je suis là.

Femme

Et je suis toujours là pour te récupérer ! Ainsi va le monde. Pour le meilleur et pour le pire.

Depuis que je sens que tu es là j'oublie jusqu'à t'écouter, et je fais que d'attendre mon tour. Que les mots sonnent bizarrement. Il ne s'agit pas de parler dans un autre espace. Mais bel et bien d'occuper cette moitié de terrain, sans me préoccuper de ce qui se passe chez l'autre. Qu'en est-il du besoin de dialogue ? De contact ?

Homme

Je ne parle pas dans le but de casser les fils ; je me reprends. Je ne me suis pas fixé de but. Je parle. Et comme je ne me préoccupe que de mes prédilections il est fort possible que je casse des fils. Tant mieux. Je n'ai jamais compris l'utilité des fils, conducteurs ou autres. J'aime être perdu. C'est un moment privilégié. L'unique occasion authentique de se chercher, ou de chercher autre chose, ou bien d'apprécier tout simplement la sensation délicieuse de la perdition.

Femme

Silence

Homme

De l'absence de tout. Elle n'est jamais bien loin, elle ou une autre d'avant ou d'après mais non pas tout à fait ici.

Pourquoi est-ce que les fleurs sentent bon ?

Dorénavant, toujours, jamais, plus jamais. Oui et non. Non et oui. (oui, oui, oui).

Quelle bonne humeur ! Nulle envie de tuer ! Tout juste l'envie de remplir l'espace. D'aller sentir, retirer tout ce qui est dans les recoins de cet appareil parolier. Non. Et oui. Les vibrations

Femme

Silence

Homme

qui m'exaltent. Je parle souvent jusqu'à l'épuisement. Parfois je redis le même mot plusieurs fois de suite jusqu'à ce qu'il perd son sens habituel et redevient lui-même, coupé des autres qui lui permettaient d'exprimer sa relation à une réalité enchaînée.

Quand cela m'ennuie, ce vertige incantatoire, j'ai bien d'autres jeux. Tout dépend de mes dispositions, que je prends généralement le matin, et des exigences de la situation dans laquelle je me trouve. Or, nous sommes à peu près aux trois quarts de ce livre. Je peux, je veux, me consacrer un peu, d'après ma façon, à cette présence écrivante. A cette femme qui a voulu que je parle pour elle, question de vie et de mort, à cette femme qui ne m'est connue, objectivement, que par ces pages et qui, si elle ne m'intrigue pas à proprement parler, exerce du moins un certain pouvoir de par sa présence son activité. Il est probablement trop tard pour rattraper le ton, mais tout cela elle peut le

Femme

Silence

Homme

... j'allais dire le bricoler plus tard mais j'ai senti la frivolité de ma pensée. Son rapport au langage écrit est un peu comme le rapport de quelqu'un qui parle, à la parole. Elle ne veut rien raturer. Que ce soit par fainéantise ou caprice, ce qui est écrit restera tel que.

Voilà une grande impossibilité. De quoi faire pleurer une mère. Un cycliste que se fait transporter son vélo en haut de la colline pour profiter de la descente. Franchement.

Femme

Je n'écris que pendant mes heures dites "de loisir" et elles sont tellement courtes que je n'ai nulle envie de me casser la tête à penser. J'ai besoin de me reposer. Ici, je me repose. Je me fais plaisir. Cela me tient lieu de vacances. Me permet de réfléchir à ma mort. Je n'ai pas cette disponibilité, de m'intéresser aux questions qui m'intéressent, dans la vie dite "quotidienne".

Homme

Etre là où il faut au moment où il faut. Caisse, ski ton homme, pêche ? Le travail te fait rater tous tes rendez-vous avec le ciel vide ? L'île t'attend, et tu restes ici à me traquer. Le silence t'attend, et tu préfères m'écouter gargouiller, singer, mentir, m'évader, m'esquiver, pleurer, râler que de trancher et de te couper une fois pour toutes de tout ça. Est-ce que tu soupçonnes une vérité première dans cette petite monnaie ? Un besoin

Femme

Silence

Homme

dont tu auras la pudeur de rougir ? Une honte massive et partagée ?

Qu'entends-tu ? Le bruit du corps qui se fatigue afin de pouvoir dormir ? Le bruit de l'esprit qui se distrait afin d'éloigner l'ennui ? Le bruit des chaînes qui retiennent les corps dans un lieu trop peuplé ? Le marteau piquer qui détruit les nerfs pour qu'un autre courant passe ? Le mépris de tout ce qui ne ressemble pas à soi-même et à ses idéaux ? Une vague qui monte

Femme

Silence

Homme

pour se retirer ? Le commerce des espoirs et des orgueils ?

Tu restes parce que tu ne peux pas te passer de cette musique incompréhensible fait d'éléments sonores trop divers pour ton oreille sélective. Tu restes dans l'espoir de pouvoir à un moment futur dominer cette musique de ta voix cristalline, perçante.

Et le temps passe et ta voix reste cachée, mal adaptée, trop étouffée, insuffisamment exercée pour s'imposer. As-tu parlé aujourd'hui ?

Femme

Viens jouer sur mon terrain. Prends le stylo et écris-moi. Tu verras que tout est interchangeable. Il n'est plus question de couilles, ni même de vagin. Nous avons tout perdu. Tout reste à faire. Ta fécondation poétisait le monde. Je crie. Je pleure. Je m'exprime comme je peux, quand je peux. Quand je ne peux pas j'attends, et je marque le temps, je garde le rythme, je t'écoute, je me rassemble. Que m'importe mes impossibilités multiples puisque j'ai le temps de tout entendre et de tout dire après ma façon ? Le temps et la possibilité, la disponibilité, la force, l'envie, le pouvoir ! Nous allons faire éclater les parois de notre entonnoir. Pour usage unique.

Conversation jetable, nous ne nous transmettrions aucun virus mnémonique, avant et après le silence sera toujours pareil à lui-même, à ceci près

Homme

Silence

Femme

qu'il faudrait le chercher un peu plus loin, avec d'autres moyens. Paris, les boules Quilès, parle ! Saoûles-toi de mots, de bruits, d'expériences, de rencontres, d'applaudissements ! La foule est là, à la portée de la voix. Et toi, ventre plein tu guerroies, ventre vide tu t'affûtes, brisé tu mendies, gonflé tu te montres, et dans toutes tes manifestations je meurs de toi.

Homme

"Prends le stylo et écris-moi."

Tu veux changer de rôle, après tout. Tu rêves de te trouver sur un plateau à vider tes tripes dans la marée montée.

Rideau ! Félicitations, Madame, ou est-ce Mademoiselle ? Quelle force d'âme ! Quelle rage ! Quelle justesse ! Il y avait un bon public ce soir. Nous suscitons de l'intérêt. La foudre des dieux va bientôt nous tomber dessus.

Femme

Et nous n'avons aucune protection. Il ne faut pas les prendre à la légère, les dieux. Ça peut te jouer de drôles de tours.

Votre voix m'intéresse beaucoup. Infiniment, même. Ces choses-là mènent loin. Très loin. Ma liberté est une allée et tu es au bout de cette allée et je tente de marquer mon cercle autour de toi avec des mots venus de partout et de nulle

Homme

Silence

Femme

part et même si je n'écris qu'à la lumière de deux bougies cette lumière me suffit. C'est celle que je préfère. Ou bien est-ce le soleil ? Une lumière de jour nuageux ? Toutes les lumières sont bonnes puisque toutes les musiques sont bonnes à condition de se succéder rapidement et de sonner profondément.

Homme

Très bien dit. Si j'enchaîne, excusez-moi de nous enfoncer plus dans le noir. Dans la journée on me parle. Je dois me concentrer pour répondre, pour faire ce qu'il faut faire. Mais dans le noir une autre voix monte. Une voix qui me fait l'effet présent et qui redit les choses qu'il me semblait avoir comprises mais qui sont redites d'une autre façon. Tordues. Une voix torturée

Femme

Silence

Homme

qui affirme et qui se contredit et qui joue avec tous les mots qui lui tombe sous la langue.

Comme s'ils n'étaient retenus par rien et n'avaient donc aucun sens et tout ça tourne comme un moulin et je fais tourner le moulin sans trop savoir si c'est ça ou pas. Tout seul, il est extrêmement difficile de le savoir, de savoir si on l'a ou non.

L'imagination fait le reste.

Femme

Le reste de quoi ?

Homme

Le reste de la vie, le reste du livre, puisque nous nous sommes embarqués dans une conversation imaginaire pendant laquelle je ne te vois absolument pas et tu me décris une passion vieille comme le monde, neuf comme l'oeil reposé. L'oeil qui avale tout d'un coup, et qui s'enferme sur sa vérité. Sur sa magie. Demain, tu trouvera ça très bien, d'être quelqu'un d'autre. A condition de te reconnaître.

Femme

Tu ne peux pas être sûr de me reconnaître. Mais tu peux être sûr si tu ne me "rencontres" pas. Après. Longtemps après. Comme n'importe quelle explosion qui emporte tout de ta vie et le remplace par un autre tout, tout aussi toi que le premier, et ainsi de suite. Mais heureusement, nous ne sommes pas loin de la fin. Il reste un bon nombre de pages mais tout ce qui est possible a été dit, ou bien tout ce

Homme

Silence

Femme

qui n'est pas possible, mais qui est, en imagination. Un monde imaginaire dans lequel il n'y a aucune place pour le mensonge à moins que nos vérités profondes ne soient des sortes de mensonge et pour avoir une idée de la vérité il faudrait raconter une histoire fausse qui sonne comme aucune autre. Ta voix. La vérité ?

Homme

Je te dirais ça dans cinq milliards d'années. Je vis vite. J'irai placer mes intonations là où je peux. Et mes réponses, les réponses... la sincérité n'a jamais été en question.

Ce n'est pas tellement une voix. Mais une façon d'être. Une recherche. Qui dépasse les limites de la voix et parle d'une autre façon. Puis, il y a la fatigue.

Femme

Je ne peux pas répondre à tes désirs.

Je ne peux que les prolonger. Les pousser un peu plus loin. Les faire revivre.

Je ne suis qu'une matrice qui te renvois une partie de toi mélangée avec une partie de moi.

Apocalypse. Il faudrait en finir. Parle vite. Il n'y a plus de temps. Tu n'es plus ici. Je suis seule.

Homme

Pourquoi est-ce que tu essaies de détruire ce qui n'a pas encore été fait ?

Tu me convoques de force, tu fais quelques pages avec moi, et puis tu veux en finir au plus vite afin d'être disponible, d'écrire autre chose mais tous tes textes t'emmènent vers ton apocalypse et ce serait de la folie de reporter encore quelque chose que tu sembles désirer si fort. Pas de fausses promesses.

Femme

Quoi, alors ? Une entente véridique ? Durable ? Nous sommes aussi éloignés l'un de l'autre dans nos rêves que dans la réalité. Nous ne pouvons pas faire connaissance. Il y aura toujours un de nous qui se retire vers la chambre noire pour changer quelque chose à l'improviste. Nous voulons être les meilleurs. Alors nous nous mettons tous les obstacles nous-mêmes sur notre chemin.

Homme

Silence

Femme

Puis l'imagination se lasse d'images, commence à vouloir jouer avec le réel. Avec ces forces que nous ne maîtrisons pas ou peu. Et puis il y a la fatigue et les nerfs exacerbés par l'impatience. Livre-moi tes secrets. Dis-moi comment t'écrire.

Homme

Je n'ai aucune idée de ce que peut représenter le travail de l'écriture. J'ai mes exigences qui ne sont plus d'aucun secours. Je me lance, tout comme toi, et tu ne te fais pas une meilleure idée de moi en essayant de me faire parler, tu renforces celle que tu as depuis longtemps déjà. Mais je ne suis pas seulement ce que tu peux imaginer de moi.

Femme

Je te remercie de cette nouvelle limite. Il m'en faudra d'autres pour bien m'enfermer à mon tour, comme je t'ai enfermé, mais non, je suis déjà prisonnière des mots, du stylo, il me faudrait de la liberté. Je ne sais plus où donner de la tête.

Homme

Alors reste où tu es et essaie d'achever tranquillement ce que tu as commencé, une oeuvre commandée par l'amour. Je te souhaites beaucoup de succès. Je ne puis m'exprimer qu'en images. Incongrues. Laides. Passionnantes et affolantes. Me faire connaître, je ne saurais même pas par où commencer. Mais je te tiens compagnie. Jusqu'à la fin du livre, je reste avec toi.

Femme

Alors sortons de cette chambre obscure. Que le stylo continue à se promener avec la même allégresse. Ce qu'il nous reste à faire est égal à nos possibilités.

J'ai envie de m'arrêter à chaque pas pour écrire. Le temps passe tellement vite, et les 24 heures qui suivent feraient un beau roman mais nous ne voulons mettre ça dans si peu de pages, pour en finir, pour en vivre un autre, un meilleur.

Homme

Silence

Femme

Je prends la température dehors. Il ne fait pas trop chaud aujourd'hui, juste assez pour s'empêcher de s'endormir. Besoin de lunettes de soleil et d'une boisson fraîche mais trop pressée de passer devant tout ce qui me gêne - je passe devant la Résidence Poniatowski ; résidence des étudiants des états de l'ouest africain. Il y en a toujours un ou deux, dehors, juste devant, et ils sont beaux à regarder, prenant l'air mais ils me mangent entière avec leurs regards, sans aucune pudeur.

Homme

Silence

Femme

Plus loin, des hommes blancs commencent à monter la structure du marché de demain jeudi. Ils n'ont pas l'air malheureux, mais ils ne dégagent rien de cette aura de justesse qui émane de toute personne qui a trouvé son harmonie, sa mélodie et ses accompagnements et qui est si avancé - Ledru Rollin, encore quatre stations. Dans le métro, au moins on peut écrire, pour se donner contenance, les points de repère ayant été

Homme

Silence

Femme

perdus. La trouille intervient toujours là où il n'y a pas encore d'harmonie, pas encore de certitude, car l'harmonie ne peut exister en dehors des structures de la peur et du frisson. Ou, plutôt, oui. Tout cela est inconnu.

On ne trouve rien à Paris en août ! On se croirait dans une autre ville, non pas par les monuments et les fermetures : tout est quand même à sa place. Mais les habitants ont changé.

Homme

Alors, pour trouver ce qu'il nous faut, nous pouvons partir, ensemble ou séparément, nous savons que nous pouvons toujours retrouver Paris pareille à elle-même, ville énergique et stimulante, où la dureté et la douceur peuvent se confondre. Mon esprit se brouille de nouveau. Ce n'est pas simplement Paris. La vie est partout la même : le décor y est pour très peu. Nous allons tourner notre attention vers le décor, veux-tu ?

Femme

Depuis que j'ai trouvé, acheté, ma guitare, écrire est plus difficile. Il faut la surveiller tout le temps. Si elle tombait ? Et tu ne peux pas la prendre dans tes bras, à cause des gens qui sont en face de vous dans la rame du métro.

Heureuse de sortir. Heureuse de revenir. Le décor. Parlons-nous de l'extérieur ou de l'intérieur ?

Homme

De là où nous sommes. Est-ce trop vaste pour ton stylo ?

Femme

Ça dépend. Tu parles de moyens ou de besoins ? J'ai été fidèle à toi. L'as-tu été aussi à moi, ou est-ce que des mots qui te faisaient plus plaisir ont résonné dans ta tête depuis que j'ai commencé à t'écrire ?

Car aucune voix ne m'a tenté plus que la tienne, seulement la tienne étant inaccessible j'ai dû me contenter de n'importe quoi. Ça n'a pas de sens ici, l'amour. Les murs en sont tissées.

Homme

Les murs sont tissés d'amour. Ça va pas ? Cela n'évoque absolument rien.

Femme

Exactement. Et puis tout y est comme avant et comme après. Est-ce que j'ai déjà parlé de l'apocalypse ?

Homme

Oui.

Femme

Tu ne veux tout de même pas dire décrire comme ça ? Comme si je ne comprenais rien de ce que j'écrivais ? Je ne peux pas travailler comme ça. Oui au passé, mais mélangé d'avenir et surtout du présent, ici et maintenant. Ma guitare me parle directement. Aucune voix ne m'a parlé aussi directement que la mienne, quand je me parle. Je suis plutôt du style exigeant au niveau du "je ne sais quoi" mais au niveau des détails

Homme

Silence

Femme

matériaux je suis intransigeante. Je ne sais pas distinguer un riche d'un pauvre car tous les gens ont une richesse. Je ne sais même pas distinguer les bons des méchants, car les méchants font très fort dans la séduction.Les bons aussi. Mais il y a des règles à respecter ou plutôt les signes extérieurs d'une vie sainement disciplinée !

Homme

Les dieux Grecs se comportaient en enfants gâtés. Est-ce que nos nouveaux dieux sont plus adultes ? Je ne le crois pas. Plus un homme s'efforce de se faire prendre au sérieux plus ses démons enfantins jouent avec lui pour le rendre ridicule et désespéré.

Je disais donc, je ne sais rien de l'écriture, et il n'y a plus assez de mystère autour de notre rencontre pour que je puisse te dire ce que j'en pense réellement. Il faudrait que je le relise pour corriger les fautes et arrondir les creux mais dans l'ensemble tu me donnes un soupçon d'hésitation qui est une véritable torture mais qui me donne curieusement envie de m'attarder dedans.

Je n'ai aucune envie que notre dialogue se termine.

Il y a sûrement un moyen de le prolonger ? Peux-tu écrire plus lentement ? Comme ça, nous allons passer un bon moment ensemble, encore. Laisse moi parler.

Femme

Je n'en vois point. Ou, plutôt, j'en vois plusieurs mais je ne sais pas comment les mettre en mots. Tu l'as déjà dit : nous manquons complètement de mystère.

Je te laisse parler tant que tu veux, car j'ai dit ce que j'avais à dire, où je me situe et comment, et si tu veux prolonger ce premier contact, ou renouer après, je te laisse des coordonnées bien précises.

Homme

Je pense que pour m'écrire il faut rester auprès de moi et apprendre à me connaître.

Je sais que je suis affreux par moments. Odieux. J'ai besoin de preuves, de preuves d'amour, de plus en plus fortes.

Femme

J'ai épuisé ma force pour toi. J'ai épuisé ma force pour toutes les voix qui m'ont fait le même effet que la tienne. J'ai essayé de dialoguer. Mais j'ai vu que malgré mes efforts ces voix étaient déjà en train de dialoguer avec d'autres voix, avec d'autres femmes. Et j'ai détesté ces femmes et je les ai aimé aussi. Ce n'est pas la peine de raconter leurs histoires. Je dois faire avancer la notre.

Homme

Je ne sais pas si je veux être dans ton histoire. On est mieux hors le temps. Je ne suis ni héro ni personnage quelconque. Je suis celui qui raconte, non pas celui qui est raconté. Je mets tout en mots. Je dis tout. Mystérieusement, comme si je n'étais pas garant de mes paroles mais plutôt pressé de m'en débarrasser. Words spoken once only. Then cast aside. In their trueness.

Femme

Silence

Homme

All true, in one way or another. I've never felt such freedom to speak the truth. Not because nobody's listening, but because everybody is listening and I must say something to each and all. Perhaps not at the same time. We must prepare, my dear, for the winter and the long dark evenings, or travel south.

That is one man's truth.

The others must be put into separate compartments, do you know what I mean?

Femme

N'aies peur de rien. Je m'en occupe. Ici, la vérité d'un seul homme suffit. Suffirait. S'il n'y en avaient pas d'autres. Ils sont tous ici. Je n'ai pu en exclure aucun.

Tu es tous ces hommes pour moi avec toutes leurs vérités.

Qui suis-je pour toi ?

Homme

Ma petite poupée. Un grain de poussière.

Femme

J'aurais dû lui dire "regarde ce que je sais faire." N'importe qui aurait mis un 's' à 'regarde' mais je sais mieux que cela. Je ne peux pas citer ma source car je l'ai oubliée. Tu rends-tu bien compte de ta situation vis-à-vis de moi ?

Homme

Oh oui. Depuis tous les temps, cette situation n'a guère changé, d'ailleurs. Vous êtes fidèles à vous-mêmes. Et nous - les hommes - nous sommes persécutés par toute cette responsabilité. Je veux bien faire des enfants mais je ne sais pas si je peux t'aimer toute la vie. J'ai d'autres amours ; d'autres passions, qui peuvent me reprendre à n'importe quel moment et plus on est libre plus cela serait possible.

Femme

Et tu veux que tout soit possible ou non ?

Homme

Improvisation sur le thème: "Est-ce que tout doit être possible ou est-ce que ce ne serait pas préférable de définir tout."

Je comprends ton inquiétude car tu voudrais m'épouser et tu recherches le même genre d'émotion chez moi. Or, tous les jours je me demande ce que je vis et je le compare à ce que je rêve. Et je rêve de visages parfaitement inconnus. Des visages qui parlent sans mots.

Femme

Silence

Homme

Des mots, on a l'impression, les enlèveraient même de leur charme. Peut-on parler de "charme" en ces cas-là ? Car nous avons affaire à un autre aspect de la vie que le côté "séduction" : au fond il y a la question de gravité, de sérieux. Cette personne-là, a-t-elle une emprise sur la réalité ? Si oui, je dois l'épouser pour augmenter mon emprise.

Toi qui écris, tu peux faire tout ce que tu veux.

Femme

J'ai ta bénédiction alors. Ce n'est pas exactement ça que je veux. Je ne suis pas croyante. Mon dieu est abstrait et humain. Une abstraction de l'humanité. Nous pouvons faire mieux maintenant. Trouver un dieu, une idée d'harmonie qui transcende les barrières culturelles et linguistiques.

Homme

You smoke too much.

Femme

I know. But I don't drink too much. Except when I'm drinking with friends. Then, I let myself go. To be a part of them is a wonderful feeling. If they drink I drink.

Il faut que je te parle des années de feu et des années de cendre. C'est très important. Je vais merder à coup sûr je ne l'ai pas assez répétée, je le dis pour la première

Homme

Silence

Femme

fois. Plus tard, qui sait combien de fois je serai obligée de raconter mon histoire de feu et de cendre, et si je resterai fidèle à cette première version ou si je n'aurais plutôt intérêt à tricher sur les détails. Tu me parles de ton décor. Je te vois dans ton décor. Vois-tu le mien ? Le mien est presque invisible. Il y en a un peu dans tout. Un peu de vrai, un peu de faux. Seul les objets ne peuvent pas tricher bien qu'ils peuvent jouer sur plusieurs niveaux. Il y a le sexe produit, le sexe à consommer sur place, et ainsi de suite. Un peu partout.

Nous ne sommes pas là pour miauler le silence de la route déserte à travers un lieu désert. Nous sommes là pour dire l'autre qui surgit au bout de ce chemin et qui te traverse et échange son âme contre un sourire, un rire, un souvenir intarissable.

And still it's not enough. Tu veux parler, toi aussi. Excuse-moi, j'étais perdu dans le souvenir de la première fois.

L'homme qui parle veut parler. Une autre fois, les souvenirs. Il faut se pencher vers l'avenir, en avant!

Wake up!

Il est incroyable. Il dort.

Homme

Silence

Femme

D'un sommeil profond et irrévocable. Sans ambiguïté. J'avais la sensation qu'il brûlait d'envie de parler, mais j'ai trop tardé à lui laisser la parole, alors, comme il s'ennuyait de ce que je disais, ou par la fatigue de la journée, il s'est endormi. Moi pas. J'écoute de la musique. Je danse à l'intérieur. Et je dors à mon tour. Qui se réveillera le premier ?

Homme

Son silence me pèse étrangement. Je veux entendre une nouvelle voix, de nouvelles vibrations, et je ne rencontre que de l'écriture. L'écriture. Ne m'intéresse guère. Une voix qui ne chante pas ne saurait m'enchanter. Une voix qui ne pleure pas ne saurait m'émouvoir. Certains mettent plus d'émotion dans une phrase parlée que la totalité des émotions enfermées dans des bibliothèques où tout est déjà desséché. Ces voix-là ne parlent que de la mort, du passage inexorable du temps, de la vie des siècles passées. La voix que j'attends parle de maintenant et parle ici, parmi nous. Une voix qui se nourrit d'espoir. Qui saute les vides pour dire des vérités déformées, sans rien perdre de leur force.

C'est très probablement la voix de ma mère. Amplifiée et écoutée à travers un ventre, peut-être. Il y a de la peau tendue dans sa voix. Les tambours !

Femme

Silence

Homme

Les clowns ! Yes! Tout le bazar. Il ne faut rien omettre, rien oublier, rien détruire avant la finale.

Vous qui écoutez, vous pouvez y être aussi. Ce n'est qu'un écho d'une voix qui n'a pas encore parlé, une petite prophétie pour les jours à venir.

Ce qu'elle appelle l'apocalypse ! Ha. Ce n'est qu'un dieu qui éternue. Faut lui passer un kleenex et puis on reprend comme avant.

Le chiffre ou le nombre de morts et de blessés ne correspond à rien dans ce langage. Une vie perdue. The cause of death ?

Over-excitement. Killed by a man-eating tiger. Tortured to death by a vicious dictator. Dead in his sleep. Dead in his garden. Airoplane crash. Road accident. Cancer. Aids. Killed in action. Remembered by the homeland.

Femme

Où est-on ? Au Panthéon ? Je me réveille lentement. J'ai la tête engourdie. Hier, il me semblait avoir tant travaillé. Est-ce vrai ?

Est-ce que cela fait longtemps que tu parles tout seul ?

Homme

Quelques pages. Je t'avais oublié. Je pensais à la mort. Je me rappelle avoir dit que j'attendais une voix, une voix vivante, vibrante et chaude de préférence, oui, chaude, si possible. Une voix chaleureuse telle que je n'en ai jamais entendue.

Femme

Silence

Homme

Silence

Femme

Il fallait le dire. Je ne savais pas que tu attendais cette voix. Je peux l'inventer pour toi.

Homme

Non. Elle existe déjà. Je le sais. Il suffit de la trouver. Je la reconnaîtrais. Aide-moi.

Femme

Ne pleure pas je t'écoute et je vais t'aider à parler car je te connais comme aucune autre. Bizarre que j'ai le temps de vivre autant de vies, ne penses-tu pas ? Voilà pourquoi j'ai autant de voix mais je te les ai toutes cachées sauf une. La voix de la chaleur est la plus langoureuse de toutes. C'est comme cela que tu l'aimes.

Homme

Silence

Femme

Et puis, bien sûr, il y a la très aigue. La femme qui crie de joie. Ou de peur. La petite fille que l'on éclabousse d'eau froide, qu'on essaie de pincer d'une manière ou d'une autre rien que pour entendre ce cri. Mais j'ai déjà écrit tout ça. Pour moi-même. Mes souvenirs sont bons, et tout est à sa place. Devant la grille de l'école, une autre histoire commence.

Homme

Tout cela m'aide mais il me manque tellement d'éléments. Je ne peux pas te comprendre si je ne t'ai pas vécu, si je ne connais pas ce que tu appelles ta vie étape par étape. Mais, après tout, est-ce important ? Une passion en vaut une autre, et mot par mot trouvera les moyens de se dire.

Quelles prétentions ! De vouloir improviser avec les passions !

Femme

Ce n'est pas de l'improvisation. J'écris les mots pour ça. Pour trouver et consacrer à la page, au livre, la mélodie. Cela revient au même puisque, pour l'instant, manque de savoir-faire, nous gardons les fausses notes et nous nous apercevons aussitôt que ces fausses notes sont les clés d'autres clés, des ouvertures dans le son, signe d'une volonté de changement ou d'une dissatisfaction quelconque. Cela revient au même.

Homme

Silence

Femme

Non. Signe d'une volonté de changement ou d'une recherche. La recherche de ce qui a été perdu, du temps et des espoirs, des amours et la même chose mais à l'envers. Le monde à l'envers. La volonté avant tout de partir, de tout quitter, pour ensuite comprendre que ce que l'on quitte, c'est toujours l'amour pour l'amour. Le reste est mensonge.

Homme

Tu es partie pour comprendre que la vie était dure.

Tu l'a appris. Et maintenant, sois la bienvenue à notre abri. Où les murs ne sont tissés que d'amour. Où les bruits qui courent font frissonner la peau. Réjouissons-nous de cette petite découverte monstrueuse ! Le code, le langage, le temps, la femme, une langue, des mots, des pages, des oreilles, les stylos, les

Femme

(Il a l'air de bien le prendre).

Homme

livres, les microphones, les journaux, les articles, les cassettes, les pinceaux, (les pinceaux ?), les graves et les aigus !

Welcome, oh welcome in to this wonderful secret, I'm the only person who knows this, really, and you're the only person I'm going to tell it to! Ha! Ha! Ha!

Suis-je en train de délirer un peu, chérie ?

Femme

Ça alors ! Il m'appelle "chérie" maintenant !

Je suis sûrement sur la bonne piste ! Il y avait sûrement un peu de "ça" ? De ce "oh, là là, tu m'exaspères !"

Qu'importe. Le chemin, c'est le chemin, long ou court ; le même. Rien ne change, rien ne bouge, la mort avance comme une mer venue réclamer sa vague.

Homme

La vie ainsi est palpitante. Nous vivons aussi dans le palpable. Les volumes. Les couleurs, les odeurs. Les lumières. Les textures. L'oeil. Un regard palpitant comme un bébé qui se demande ce qu'il lui arrive. Qu'est-ce qui se passe, ici ?

C'est un monde fou. Il se passe trop de choses, et trop vite, et puis rien et pas assez vite. Je voudrais régulariser tout ça.

Femme

Tout sera réglé en très peu de pages.

La fin est tellement proche que je m'en fous, maintenant, de ce que nous nous disons. J'ai fait ce que j'avais à faire. Remplir un livre dans lequel j'entendais ta voix parler, et même quand tu ne parles plus je garde ta voix en mémoire et je l'entends et j'essaie de placer ma voix en fonction de la tienne. Needless to say, ce n'est pas toujours facile. Je ne sais même pas si j'ai réussi.

Homme

Une ou plusieurs fois. Je ne peux pas te dire exactement combien de fois ton stylo a épousé ma pensée mais ce n'est nullement constant. Nos idées ne se cassent pas au même endroit. Les phrases n'ont pas les mêmes proportions.

Vaguement choquant. Je suis sûr que ce n'est pas l'effet recherché. Tant mieux pour toi ?

Femme

Je tourne la page et je m'aperçois que la dernière page est à moi. J'aurai donc droit au dernier mot. Si tôt ! Merci ! C'était tout ce que je voulais. Tu étais parfait ! Pas l’ombre d’une agressivité ! Aucun refus de coopération ! Une envie vague, même, de continuer.

Homme

Cette activité incessante de la parole. L'homme dans ses cycles. Cycle de croissance, cycle de jouissance qui pousse encore la croissance, cycle de l'aplatissement et cycle de l'anéantissement, cycle de la vie et de la mort, et l'amour, cycle par excellence, courbe exquise, manifestation outrancière de la vitalité.

Bizarre, qu'il y a toujours plus à dire que ce qui a déjà été dit. Et ceci

Femme

Silence

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