samedi

Bonjour

Quand le mot a résonné pour la première fois, je n’ai pas voulu croire mes oreilles. Un français, ici? Quelle coïncidence. A moins qu’il ne s’agisse d’un extra-terrestre d’une civilisation avancée portant un appareil capable de simuler le code verbal de celui qui l’entend? Mais ces choses-là n’existaient pour ainsi dire que dans la fiction au jour d’aujourd’hui. D’hui. Que diantre ! Nous-mêmes nous ne comprenons pas les mots que nous utilisons, alors comment est-ce que d’autres…

Bonjour.

Cette fois le ton était plus appuyé, et faisait l’impression d’une interrogation – soit ; est-ce qu’il y a quelqu’un – si la personne avec la voix ne m’avez pas vu – soit ; est-ce que tu vas daigner un jour me répondre – si j’avais été repéré – plutôt qu’une salutation à proprement parler.

Je me suis senti très mal à l’aise. Une onde de panique m’envahissait, ce qui ne tardait pas à donner des gouttelettes de sueur sur mon pauvre front. Que faire ? Est-ce que j’avais été repéré ou pas ? Est-ce que la voix allait recommencer ou pas ? Il serait vraisemblablement plus sage de faire le mort, quoi qu’il arrive. Hasarder une réponse entraînerait des conséquences peut-être unstoppables, une chaîne d’événements, séquence de désastres – ou – osai-je le croire ? merveilles…

Je n’avais pourtant rien demandé. Je n’avais pas envie d’être interpellé de la sorte, mais une vague culpabilité m’empêchait d’envoyer tout simplement paître l’intrus. Après tout, il avait peut-être été élevé dans un environnement où les habitants s’adressaient les uns aux autres de cette façon là, tout naturellement, sans arrière-pensée. Ne pas répondre ce serait me faire voir d’un mauvais œil, dans ce cas-là. Seulement, je n’avais aucun moyen de tester mes théories ni vérifier mes hypothèses. La situation demandait une réponse immédiate – ça, j’étais capable de le percevoir. Ce qui m’échappait complètement était la nature de la réponse à donner, qui se prêterait à tous les cas de figure possibles, qui ne me porterait pas tort, ne m’attirerait pas les foudres des dieux, bref, qui s’avèrerait satisfaisant en tous points, pour toutes les parties ; la réponse adéquate!

Il me semblait que je pouvais gagner du temps en éliminant toutes les possibilités farfelues et non avenantes ou autrement inappropriées. En vérité, les deux choix réels étaient soit de continuer à faire le mort, ce qui aurait pu être interprété comme une absence total de réponse, si je n’avais pas été repéré, soit de prononcer en retour précisément le même mot.

La deuxième option me paraissait d’une complexité extrême, bien au–delà de mes ré(s)ponse-habilités. Il faudrait non seulement choisir un ton pour le faire, mais un niveau sonore – trop faible, on retombe dans l’option 1, trop fort, on risque d’endommager le dispositif auditif de l’autre. Une fois le ton et le niveau sonore décidés, il y aura l’emphase, l’intention à mettre derrière pour propulser le mot hors de soi, dans l’espace, pour être – si tout allait bien – re-capté par celui qui l’avait proféré en premier.

Cette option avait l’inconvénient supplémentaire de manquer d’originalité, car dans ces circonstances il ne s’agirait pas de concevoir une réponse, d’inventer quelque chose d’aussi bon que le jour que l’autre avait déjà donné, non. Il s’agirait de redonner à l’autre le même mot sans rien ajouter du tout. Faire l’écho, en quelque sorte. Ne pas dire « j’existe » ; se contenter de reconnaître à l’autre le fait que lui, il existe en tant qu’acteur dans l’histoire. Et moi dans tout ça ?

Décidemment, au niveau de l’immédiateté, c’était plutôt raté. Maintenant si je répondais comme si de rien n’était, au bout de tout ce temps l’autre me prendrait pour un taré, pour quelqu’un qui ne vit pas au rythme des échanges mais qui est en décalage vitessier. Un néandertalien, en somme.

Il est vrai que je pourrais faire semblant de me réveiller d’un coup, et à ce moment-là, comme je n’aurais rien entendu dans mon sommeil, ce serait moi qui parle le premier, moi le yang à son pitoyable yin, moi qui aurait eu l’idée de choisir ce mot-là plutôt qu’un autre !

Bonjour !

Et il s’en mordrait les doigts de n’y avoir pas pensé avant moi !

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