mercredi

L’enfant géant fait sa rentrée.

« Ce n’est tout de même pas de ma faute si je suis un enfant géant », se disait Laurenne en enfilant ses vêtements pour aller à l’école. D’abord, les vêtements étaient durs à trouver. Le hors norme coûte plus cher que la moyenne. Il faut passer du temps à les dénicher ou à les faire faire. Se présenter bien est un investissement important. Que faire si son corps n’est pas gracieux ? Le déguiser, le mettre en valeur n’est pas chose facile. Il reste, aux gens exceptionnelles, peu de temps pour s’affairer à autre chose. Raison pour laquelle elles réussissent moins. Mais, comme le racisme, de telles préjugées ne tiennent pas la route.

Nés égaux, tous nous sommes. Laurenne avait du mal à se penser en « il ». Elle avait toujours était « elle » et comptait le rester. Mais quand il y avait un mélange des deux sexes, le masculin l’emportait, s’imposait, prenait la place des deux.

Dans certaines cultures, le rôle de l’homme est en perdition. Les femmes pensent qu’elles peuvent tout faire sans les garçons, en dehors de l’amour. Or, l’amour compte pour beaucoup dans les vies de tous les gens. L’amour est ce qui intéresse les humains, après le gain. No pain no gain. No gain no growth. Nous sommes programmés pour se développer. J’exécute mon programme, un point c’est tout. Mais vous vous moquez de moi, alors que vous non plus vous n’avez pas trouvé un moyen de vous libérer de la machine.

Nous voici devant la rentrée. En tant qu’enfant géant j’ai horreur de la rentrée des classes, et, plus tard dans ma vie, cette aversion me poursuivra aussi longtemps que je persisterai à en ignorer les causes.

Sur le chemin de l’école, je m’arrête à la cascade, pour passer un moment calme avec la nature. Tout est beau. Dans ce monde je suis belle et tout brille. Mais au bout de ce chemin, il y a un endroit où les choses ne sont pas toutes belles. Il y a des ennemis. Ou, du moins, des antagonistes, qui vont nous parler d’une manière qui heurt quel que peu notre sensibilité.

Je m’en fous que les autres se moquent de moi. Cela prouve leur propre niveau de bêtise. Ça fait mal, il est vrai. Plus tard je comprendrai que tout le monde se sentait exclu car nous avions été expulsés du giron familial pour être propulsés ici parmi un grouillement qui contient des prédateurs. Des innocents, des méchants, des bons et des illuminés. Avec d’autres géants, je me sens tout de même bien. Mais c’est tellement rare, une rencontre avec un géant.

C’est ça. A partir du moment où je peux me réfugier de temps à autre dans l’amour d’un proche, je peux continuer mon chemin. Dire que j’ai été aimé, que je n’ai pas à me plaindre de ma situation, que bien sûr ce serait plus sympa avec des gens cool, mais il faut un certain effort pour s’ouvrir aux autres et pour aimer les autres tels qu’ils sont et tout le monde n’a pas envie ou le temps de le faire. On reste méfiant pour la plupart.

Je m’approche du portail et je capte tous les détails tout autour. Qui porte quoi et parle à qui et dans quel modèle de portable ? Est-ce que ce sont les gagnants à ce jeu-là qui vont continuer à gagner tout au long de la vie ? Niet. Chacun a sa chance. Les sprinters tombent sur les bas côtés.

Les coureurs de fond avancent, relentlessly. La rentrée ne va pas disparaître comme ça !

Mais si, voyons ! En quelques jours le tour est joué, le nouveau devient le connu, le régulier, et la quête du frisson nous emmène plus loin. Ceux qui obtiennent ce frisson en se dépassant sont les bienheureux de la terre. Ils goûtent à la création. Ils vont plus loin que leurs maîtres. Seul le public peut dire si la direction est fructueuse ou non.

Une direction fructueuse.

Plutôt qu’un nouveau départ je vivais cette rentrée comme une opportunité de prendre une direction plus fructueuse que celles essayées auparavant. Je devais rester souriant, aimable. Agréable à côtoyer. Sentant bon. Accueillant. Tout en restant en grande partie enfermée en moi-même, pour me protéger contre d’éventuelles blessures.

Je croise des yeux qui me plaisent et qui semblent flasher sur moi. Comme être poignardée, mais moralement. Je parle facilement avec la personne qui était avec cette personne-là. Sans enjeu. Dès que je ressens un enjeu j’ai la trouille et je me retire. Je dis des bêtises. Me ridiculise.

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